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Comment une entreprise doit-elle réagir dans le cas d’une crise majeure, à la fois médiatique et sociétale, sans lien ou impact direct avec son activité ? C’est bien le défi auquel ont été confrontées toutes les entreprises de France, lors des attentats visant Charlie Hebdo le 7 janvier dernier.
Hormis les administrations et les sociétés de presse ou de prestation de services touchées directement ou de très près de par leur activité, une entreprise pouvait-elle, devait-elle être « Charlie » ? Une entreprise devait-elle le revendiquer ou le taire ? Comment pouvait-elle ensuite justifier son choix auprès de ses différents publics et plus précisément de ses collaborateurs ?
Près de 2 semaines après ces événements douloureux, il est intéressant d’analyser à froid les dilemmes qui ont pu se poser en interne. Il ne s’agira donc pas ici de revenir sur les actions relayées en externe qui ont été pour certaines saluées, pour d’autres décriées pour avoir manqué leur cible, mais bien de prendre la mesure des questions ou des réactions qui ont pu être soulevées par les dirigeants, les managers et les collaborateurs.
Le jour de l’événement, de nombreux collaborateurs ont suivi, via internet et les réseaux sociaux, le déroulé en direct des événements. Devant l’ampleur du choc, le pays s’est arrêté ; une situation qui n’était pas sans rappeler le 11 septembre 2001 où le monde entier avait eu les yeux littéralement rivés sur les chaînes d’information continue tout au long de la journée pour comprendre ce qui était en train de se passer à New York.
Première question : en tant que dirigeant et manager, pouvais-je demander à mes collaborateurs de reprendre une activité normale jusqu’à la fin de la journée ? Réponse quasi-catégorique : non, tant la puissance de l’événement a tout emporté.
Deuxième question : le logo « Je Suis Charlie » dont tout le monde allait s’emparer en quelques heures pouvait-il être utilisé par les collaborateurs d’une entreprise, notamment dans leur signature de courriel, parfois en remplacement du logo de leur société, comme on a pu le constater parfois dans nos échanges professionnels ? Dans les entreprises qui avaient choisi d’être Charlie en interne comme en externe, on peut questionner cette utilisation qui mélange réactions collective et individuelle et qui amène donc la posture de soutien de l’organisation à une posture presque militante. Dans les entreprises qui avaient choisi de ne pas afficher leur soutien, l’utilisation de ce logo en signature des courriels ou sur les vitres extérieures des locaux devait être proscrite : les collaborateurs auraient engagé, notamment à l’externe, leur organisation contre son gré (rien ne les empêchait par ailleurs d’apposer « Je Suis Charlie » sur leurs pages personnelles sur Facebook ou Twitter).
Très rapidement dans la journée du mercredi 7 janvier, François Hollande a décidé la tenue, le lendemain, d’une minute de silence au sein des services publics.
Deux positions ont alors émergé :
Le choix par les entreprises d’afficher ou de ne pas afficher leur soutien a également soulevé une autre question : la posture « Etre Charlie » était-elle une traduction concrète des valeurs de l’entreprise ? A l’inverse, le fait de rester dans la retenue les désavouait-il ? Ces interrogations associent deux dimensions distinctes qui ne doivent pas faire l’objet d’amalgames. En quoi le choix d’une posture par une entreprise par rapport à un contexte précis, ponctuel, est-il la preuve de ses valeurs qui sont constitutives de son identité depuis sa création ? Peut-on comparer l’ADN d’une personne et son émotion à un instant T ? Sans doute que non.
Au final, y avait-il une façon adéquate de réagir ? La posture d’une entreprise devait-elle primer au risque d’occulter la posture individuelle? Ou a contrario, la volonté d’une majorité des collaborateurs devaient-elles s’imposer à tous, y compris à ceux qui souhaitaient, pour des raisons très diverses, vivre ces évènements à titre personnel ?
Il n’y avait pas et il n’y aura sans doute jamais de réponse univoque à cette question. La douleur, la colère, l’émotion, si intenses et profondes soient-elles, peuvent s’exprimer différemment selon les individus, que l’on soit dirigeant, manager ou collaborateur – de façon démonstrative pour les uns, de manière plus discrète pour les autres, y compris dans des situations aussi extrêmes.
Toutefois, un écueil devait être évité : l’incompréhension. Celle de ceux qui avaient choisi une posture et n’admettaient pas une position adverse, même minoritaire.
Quelle que soit la situation et plus encore dans une crise comme celle que nous venons de vivre, l’entreprise doit privilégier le dialogue vis-à-vis de ses équipes. Sans explication, pas de compréhension, pas de choix d’adhérer ou non à une position. La question du vecteur reste à la libre appréciation des entreprises (mail ou note interne, vidéo, radio interne, discussion informelle avec les managers). Ce qui importe, c’est que cette explication ait eu lieu. A chacun ensuite sa façon d’Etre Charlie dans sa vie professionnelle (et personnelle).