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Faites l’événement, pas la guerre

Faites l’événement, pas la guerre

Au-delà de toute analyse politique partisane – même si ca démange ! – le mouvement des gilets jaunes dit beaucoup des nouvelles formes de mobilisation et d’influence dans ce qu’il est maintenant convenu d’appeler une société et une économie de l’attention.

Face à l’inflation informationnelle quotidienne et à notre capacité limitée à l’absorber, notre attention sera plus que jamais LA ressource rare de nos sociétés modernes. Dans cette bataille, l’événementialisation croissante de la vie publique – politique, sociale, culturelle, économique…- semble bel et bien constituer un levier déterminant. Et si, pour faire l’événement, aujourd’hui comme hier, les capacités de symbolisation, de scénarisation et de starification sont essentielles, émerger suppose désormais de savoir combiner l’analogique et le digital, le réel et le virtuel, l’action et la médiatisation, le terrain et la tribune.

Question symbole, le gilet jaune est devenu en quelques semaines un totem visuel de référence, capable de fédérer des acteurs aux revendications pourtant éminemment disparates. Que seraient d’ailleurs nos samedis après-midi si, en 2008 le gouvernement avait choisi de rendre obligatoire le tutu rose au lieu du gilet jaune ? Gilets jaunes et ronds-points ancrent ainsi physiquement et symboliquement cette jacquerie dans le réel, alors même qu’après sa naissance sur Facebook, l’essentiel de sa dynamique reste au fond digitale. Les réseaux sociaux s’imposent ici comme la forme d’expression incontournable d’un nouveau monde, une sorte de corps intermédiaire à part entière.

Question scénarisation, les promoteurs du mouvement ont compris mieux que quiconque l’intérêt de feuilletonner pour exister et durer. Aujourd’hui à l’acte 27, la mobilisation est désormais faible, mais la médiatisation reste forte pour ne pas dire étonnamment disproportionnée. Qu’il s’agisse des caisses de résonnance généreusement proposées par des chaines d’information continue en mal de breaking news, ou, et d’ailleurs surtout, par les opportunités des canaux de diffusion en direct. Car le recours au live, constitue bien une autre marque de fabrique de ce mouvement désintermédié d’un nouveau genre où les smartphones brandis en l’air pour filmer et se mettre en scène ont remplacé les poings levés des mobilisations d’antan.

Question starification enfin, et puisqu’il faut bien quelques icones pour incarner les choses, même dans un mouvement horizontal revendiqué sans hiérarchie, quelques meneurs ou meneuses ont émergé et se sont imposés en tête de cortèges, posts ou plateaux. Ces nouveaux leaders aux airs de pieds nickelés ont pu représenter, étonner, inquiéter ou faire sourire, c’est selon. Mais quand, dans le même temps, l’audience TV de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes s’affiche en chute libre vertigineuse, il faut avoir l’humilité de reconnaître que les ressorts de l’intérêt et de l’attention ont peut-être radicalement changé.

 

Tribune parue dans Intermédia, numéro spécial Evénementiel, 19 juin 2019